14 août : escale à Dundas - Pituffik, la mythique Thulé

Traduction d'un extrait du programme du jour : Pour tous ceux qui ont lu au moins une fois des livres des explorateurs polaires, cette journée sera sans aucun doute un des temps forts du voyage : vous posez vos pieds à l'endroit choisi par Knud Rasmussen pour établir son comptoir en 1920 ! Beaucoup d' expéditions célèbres sont parties d'ici ; les fouilles archéologiques effectuées à cet endroit ont donné le nom de ce lieu à  l'ensemble de la culture... Les gens de Thulé ont été forcés de quitter leurs foyers en 1953 et il ya encore des maisons vides sur la gauche ; vous ne pouvez pas envoyer vos cartes postales ici ...

 

14 août : lever à 3 h 45 alors que l'on arrive au cap York. Je reste sur le pont jusqu'à 4 h 30. Il y a également 2 autres personnes à l'avant du pont 5 : le soleil est relativement bas, la lumière tire sur l'orange.

Au loin (5, 10 km peut-être ?), le soleil est juste à quelques degrés au-dessus de l'horizon où se profilent des îles devant lesquelles on distingue bien les icebergs dans la nappe de brume peu épaisse, seulement au ras de la mer, tout cela dans une lumière uniquement orange quand je photographie au 300 mm juste quelques degrés au-dessus de l'horizon. Bien sûr, plus haut dans le ciel, la couleur passe progressivement au bleu, mais là, juste à l'horizon tout est orange. Vers 4 h 20, un iceberg s'intercale entre le soleil et nous... Vite, 2 photos dans la boîte.

Vers 6 h 30, alors que nous passons entre de nombreux icebergs, le Fram ralentit : maintenant à cette heure pourtant matinale, il y a beaucoup de monde sur le pont. C'est très beau avec une lumière magnifique, avec notamment un iceberg "percé" de part en part que je "mitraille". A 8 h 26, nous sommes à 76° 15' nord et 69° 27' ouest ; nous faisons route au 320 à 14 nœuds. Nous avons parcouru 950 milles depuis Kangerlussuaq et 445 milles depuis Uummannaq. Il fait 6,1° Celsius, 79 % d'humidité, 1012 hPa, vent de 7,8 noeuds du sud sud-est.

La lumière est déjà plus "dure" maintenant et certains icebergs luisent abondamment. Je photographie les pavillons du Groenland et de l’hurtigruten, tous 2 rouge et blanc, qui flottent en tête de mât sur fond de ciel bleu pur. Depuis que j'ai envisagé ce voyage, j'attends particulièrement cette journée que nous allons passer à Dundas, la Thulé de Rasmussen et de Malaurie. Je n'ai pas voulu trop me documenter avant d'y venir. Je n'en ai que quelques connaissances générales. Bien sûr, ce n'est pas une "référence" mais j'ai en tête une bande dessinée de Buck Danny qui se passe à Thulé que j'ai lue il y a peut-être 40 ans...

Vers 9 h, nous naviguons maintenant plus près de la côte très belle : ce sont des falaises de grès rouge avec de nombreuses strates pratiquement horizontales. La roche est très érodée avec des couloirs à intervalles réguliers surmontant les cônes d'éboulis qui s'étalent juste au-dessus du rivage. Par contre, on ne voit pas beaucoup de glace au-dessus, ça semble très très sec, pas de végétation (du moins, vu de loin). La côte me fait penser à Templefjord au Spitzberg ainsi nommé par les baleiniers des XVIe et XVIIe siècles à cause des falaises de grès érodées comme ici ressemblant à l'architecture des cathédrales et églises gothiques.

10 h, on approche de la base de Thulé que l'on devine sur tribord avant. A bâbord, on voit la silhouette caractéristique de la montagne tabulaire fermant au nord la baie de l'Étoile Polaire où nous allons mouiller tout à l'heure. Pendant notre approche à vitesse réduite, je photographie des growlers comportant parfois des transparences ou formes très belles, je trouve.

Ça y est, l'ancre est mouillée. Tout d'abord, une équipe du staff descend à terre s'assurer qu'il n'y a pas d'ours dans le secteur... au cas où mais bon, vue la proximité de la base, ils ne doivent pas fréquenter souvent les environs surtout en été. Je déjeune tôt afin de pouvoir débarquer en tout début d'après-midi.

Effectivement, à 13 h je suis à terre. On nous a bien expliqué jusqu'où ne pas aller trop loin du côté de la base : l'administration américaine ne rigolant pas… mais aussi de bien faire attention… aux champs de mines ou autres projectiles non explosés signalés par des panneaux dans quelques secteurs.

Je débarque donc à Thulé... Et juste devant l'ancien comptoir établi dans les années 20 par Rasmussen m'a-t-on dit. Il semble en bon état comme pas mal d'autres maisons bien closes et apparemment plus récentes. Par contre, certaines ouvertes à tous les vents et servant de refuge aux chasseurs de passage sont abîmées. On nous a conseillé de ne pas y entrer du fait de leur vétusté mais bon, beaucoup de monde (dont moi-même) y entre faire son curieux. Le décor de la baie de l'Étoile Polaire est magnifique sous ce ciel bleu intense... Nous avons beaucoup de chance. Tout ce secteur faisait encore partie de l'enclave américaine il y a quelques années et cet endroit symbolique pour les inuits ne leur a été restitué que récemment. Si sur les falaises je ne distinguai pas de végétation tout à l'heure, ici avec ce relief pratiquement inexistant, on trouve de la pelouse, des lichens, quelques fleurs, des saules nains. En haut du village, une stèle est dédiée à Knud Rasmussen.

Puis avec Jean-Louis, nous nous dirigeons vers le nord et vers 14 h 30, nous arrivons vers le site plus ancien de Thulé avec des iglous en tourbe, certains effondrés qu'on devine à peine sous la végétation, d'autres encore "debout" qui nous permettent d'imaginer un peu la vie que les inuits y menaient alors. Janus, métis inuit/danois, membre du staff d'expédition, nous explique que ce n'est qu'au début du XXe siècle que les inuit ont construit leurs iglous de tourbe avec une structure interne en bois. Le bois était rare auparavant si haut dans le nord. En revenant vers la baie de l'Étoile Polaire en passant parmi les installations américaines, je photographie un gelifracte (pierre éclatée par le gel en fines tranches).

Je retourne à bord du Fram et demande s'il est possible d'aller faire un tour en polar cirkel boat autour du Fram pour le photographier dans ce cadre symbolique et magnifique pour mon site web. Pendant un quart d'heure je m'en vais donc avec le bosco faire un petit tour... Dommage qu'il manque un peu de glace sur la mer mais bon, la lumière est très belle.

A 15 h 45 de retour à bord... J'embarque à nouveau sur un des polar cirkel boats faisant la navette vers la grève : j'ai le temps pour un petit tour sous une lumière déjà différente par rapport à 13 h. Cette fois-ci, je m'intéresse notamment à la végétation que je photographie à genoux, le nez au ras des... saxifrages, pavots arctiques et autres saules nains... toute une forêt, peu étendue il est vrai, de 5 à... j'allais écrire 10, mais c'est plutôt 7 cm de haut. Comme au Spitzberg, j'apprécie particulièrement ces fleurs et arbres qui poussent au milieu des graviers et cailloux. Je rentre à bord... Sans avoir rencontré d'ours... ouf ;))

Nous levons l'ancre vers 20 heures pour une navigation sous une très belle lumière (et oui, encore !) sous laquelle les falaises de grès rouge sont encore plus belles que ce matin. Les icebergs sont également très beaux sur la surface lisse de la mer, parfois troublée par l'envol un peu maladroit d'un guillemot à miroir. A 20 h 30, il fait 9,5° Celsius, 56 % d'humidité, 1009 hPa, vent pratiquement nul, nous sommes par 76° 35' nord et 69° 5' ouest. Nous faisons route au 303 à 10 nœuds. Je vais dans ma cabine à 21 h 40 pour essayer de dormir un peu avant de me relever à minuit.

A minuit, la lumière est toujours aussi belle, mais 2 heures plus tard, c'est magnifique à la puissance 10... Vite, vite, tournez la page vers demain...